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Titel
Bilderfronten. Die Visualisierung der sowjetischen Intervention in Afghanistan 1979–1989


Autor(en)
Mirschel, Markus
Reihe
Osteuropa in Geschichte und Gegenwart 5
Erschienen
Köln 2019: Böhlau Verlag
Anzahl Seiten
570 S., 151 Abb.
Preis
€ 85,00
von
Magali Delaloye, Institut des sciences sociales, Universität Lausanne

Ces dernières années, on assiste à un certain regain d’intérêt, dans l’historiographie de l’URSS, sur l’intervention de l’armée soviétique en Afghanistan (1979–1989). Face à l’impossibilité d’accéder aux archives étatiques qui sont encore largement fermées, les recherches qui portent sur ce thème mobilisent d’autres types de sources pour saisir ce conflit. Une large place est ainsi accordée à la question de la mémoire de la Guerre d’Afghanistan qui cherche une place à côté du récit omniprésent de la Seconde Guerre mondiale. Mais d’autres recherches portent également sur le conflit en lui-même, à travers l’analyse des expériences vécues par les vétérans, en mobilisant divers types de sourcescomme les ego-documents, la littérature, les chansons, entre autres. Dans cet ouvrage tiré de sa thèse, Markus Mirschel apporte, lui aussi, une pierre tout à fait cruciale et forcément originale à l’édifice de la recherche sur la Guerre d’Afghanistan du point de vue soviétique.

De manière générale, l’ouvrage se propose d’analyser les représentations photojournalistiques de l’intervention en Afghanistan dans la presse officielle soviétique pour saisir la position du pouvoir sur le conflit (p. 19), de comprendre les stratégies visuelles et les représentations des producteurs de médias qui agissent sous la direction de quatre secrétaires généraux qui se succèdent sur la période du conflit (p. 22), la manière dont ces images s’inscrivent ou non dans la tradition visuelle soviétique, le discours qu’elles produisent, ainsi que la question des interactions entre le in war community et le out of war society (p. 23). Avec beaucoup de pertinence, M. Mirschel a choisi deux publications quotidiennes, la Pravda, organe de presse du Comité central et journal le plus diffusé et consulté en URSS, et Krasnaja Zvezda (Étoile rouge), organe de presse du Ministère de la Défense et situe sa recherche à la croisée de l’histoire visuelle – et son concept d’«archéologie du regard» –, du discours médiatique, de la politique de sécurité et de l’histoire culturelle. L’analyse comporte, d’une part, un volet quantitatif: pour chaque publication sont comptabilisés non seulement le nombre de photographies publiées –
bien sûr plus nombreuses dans Krasnaja Zvezda, mais qui montre tout de même que l’intervention en Afghanistan n’occupe pas une place prépondérante dans l’espace médiatique soviétique – mais également le nombre d’images par sujets (militaires et civils) avec une analyse sérielle iconographique.

Le volet qualitatif, d’autre part, – le plus intéressant et conséquent – est développée au sein du chapitre 7 et propose une analyse précise et détaillée de divers sujets (représentations des femmes soviétiques et afghanes, des apports soviétiques en Afghanistan, des soldats, des soins médicaux, etc.) où sont mobilisées non seulement les images publiées, mais également celles qui n’ont pas été choisies par les producteurs médiatiques. En reprenant la périodisation de Manfred Sapper qui correspond aux propres observations de l’auteur, M. Mirschel délimite quatre phases du conflit qui s’expriment par autant de modèles visuels au sein de la presse soviétique. La première, «le chemin vers l’intervention», s’étend de la Révolution d’Avril en 1978 qui voit l’arrivée des communistes au pouvoir au mois de décembre 1979. L’Afghanistan apparaît dans le monde visuel soviétique dans l’optique de soutenir la «révolution prolétarienne afghane», en particulier au moment du premier anniversaire de cette dernière. La deuxième phase, celle du «développement visuel», court de 1980 à 1983. Durant ces années est montrée une guerre sans violence où sont représentés tant l’aide «fraternelle internationaliste» – les fameuses images des soldats plantant des arbres – d’où les ennemis sont absents, que l’aide à la formation offerte par les Soviétiques en mettant en scène un peuple afghan apprenant, ou encore le quotidien local, sans oublier la mise en image de la narration du héros militaire. La troisième phase, de 1984 à 1985, est marquée par une absence de stratégie visuelle. En 1984, le conflit afghan est peu présent dans les colonnes des deux quotidiens, si ce n’est pour représenter des sujets militaires, le travail médical des Soviétiques ou encore l’émancipation des femmes afghanes. Mais en 1985 commence à se développer le thème de l’«école afghane» pour les jeunes Soviétiques, discours à deux facettes qui permet d’une part d’exprimer de manière plus marquée les difficultés de la guerre – avec même la publication de photographies de cadavres – et d’autre part de mettre en scène la promotion sociale des jeunes soldats qui profitent de leur expérience afghane pour notamment accéder à des postes de travail inaccessibles pour eux sans cela. La quatrième et dernière phase qui s’étend de 1986 à 1989, période de mise en place des réformes gorbatchéviennes, est marquée par un ajustement visuel. Alors que les politiques soviétiques s’engagent dans les négociations de retrait des troupes, la Guerre d’Afghanistan prend une place plus large dans les médias, surtout dans le quotidien militaire – tandis que la Pravda se consacre principalement à mettre en avant les réformes de la Perestroïka et les politiques de glasnost’. En 1986, de nombreux thèmes sont mis en scène dans les médias: aides médicales, héros de la guerre, retrait des troupes, lieux de mémoire qui apparaissent déjà bien avant la fin du conflit, mais aussi exotisme, notamment par l’image de la femme afghane, présentée comme incarnation de la modernité. 1987 montre une rupture dans les représentations visuelles médiatiques, en particulier dans le journal Krasnaja Zvezda, où les photographies font le pont entre un «ici» et un «là-bas», en montrant enfin le travail des médecins militaires et la réhabilitation des soldats blessés, tout en mettant l’accent sur le rôle du sport dans les relations soviéto-afghanes ou encore la représentation des femmes afghanes comme «madones». Durant ces années, les médias présentent des hommages à la soldatesque, notamment en 1988. Cette année-là, la question de la perte d’intégrité physique des soldats blessés et le long chemin de leur réhabilitation fait l’objet de reportages, discours devenant une arme médiatique pour les militaires afin de se positionner en victimes de ce conflit. C’est également l’année où est mis sur le devant de la scène médiatique le général Boris Gromov, dernier commandant de la 40e Armée et dernier à passer le pont de l’Amitié Afghanistan-Ouzbékistan vers Termez, lui qui est construit comme le grand héros de cette guerre. La représentation du conflit en Afghanistan ne se termine pas le 15 février 1989 avec le départ des troupes, les médias continuent de communiquer sur l’après-retrait, en représentant les dirigeants afghans qui auraient la main sur la situation, mais aussi, en URSS, le travail de réhabilitation des soldats. Pour toute la décennie se laissent saisir, entre autres, une évolution de l’image du soldat, de «frère» volontaire pour accomplir son devoir internationaliste, dans une guerre qui cache son nom, à victime d’un conflit qui l’a laissé blessé voire brisé mais qui trouve les ressources pour s’en sortir. Dont mises à jour également les représentations des femmes qui restent conservatrices, malgré un vernis de discours émancipateur. Se dessine alors une «archéologie du regard» sur le conflit qui s’inscrit au sein d’une société soviétique qui se délite.

La lectrice francophone peut émettre certaines critiques, plutôt formelles, qui n’enlèvent en rien la grande qualité de cette recherche originale. Tout d’abord, on peut regretter une mise en bouche un peu longue, même si elle met à jour une grande érudition et peut souvent éveiller de l’intérêt. Par exemple, il n’aurait sans doute pas été nécessaire de s’attarder si longuement sur la réflexion théorique, pour intéressante qu’elle soit. De même, refaire toute l’histoire de la photographie en Russie puis en Union soviétique n’apporte pas forcément un surplus de compréhension pour l’analyse des images, un simple topo sur l’utilisation des images dans la presse soviétique de la période aurait été largement suffisant. Ensuite, il aurait été agréable pour faciliter la lecture d’avoir directement sous la main, en annexe par exemple, différents tableaux synoptiques et autres significations des abréviations utilisées dans l’analyse, mais cela n’est qu’une question de forme. De même, un paragraphe de synthèse à la fin de chaque partie et une conclusion qui aurait repris les éléments importants auraient permis de se sentir un peu moins perdu dans la masse des nombreuses analyses ponctuelles très bien mises en oeuvre. Si l’approche peut sembler au tout premier abord manquer un peu d’originalité historiographique, il faut noter que le champ de recherche est tout à fait lacunaire et que M. Mirschel a ici très bien mis en œuvre son approche visuelle qui nécessite une certaine assurance, les résultats ne pouvant pas être confrontés à d’autres recherches – ce que la quasi-absence de références de la partie empirique exprime à merveille. C’est ainsi que cet ouvrage peut devenir une nouvelle référence dans la compréhension de la Guerre d’Afghanistan du point de vue soviétique.

Zitierweise:
Delaloye, Magali: Rezension zu: Mirschel, Markus: Bilderfronten. Die Visualisierung der sowjetischen Intervention in Afghanistan, 1979–1989, Wien / Köln / Weimar 2019. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (2), 2021, S. 404-406. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00088>.

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